Reconnaître le droit à la réparabilité

Thierry LIBAERT, président catégorie Consommateur et Environnement au Comité Economique et Social Européen

Le levier des pratiques de consommation pour lutter contre le dérèglement climatique est un sujet récent, prometteur, mais limité. Limité puisqu’à elle seule, la consommation des ménages ne compterait que pour le quart de nos émissions carbone en France (Carbone 4, juin 2019).

Au sein des pratiques de consommation, le sujet de la réparabilité reste toutefois majeur pour au moins trois raisons. D’abord, parce que c’est un sujet qui nous concerne tous. Combien sommes-nous, après avoir fait l’acquisition d’un produit rapidement tombé en panne à nous entendre dire du distributeur : « Oh, si j’étais vous, j’en rachèterais un autre, la réparation risque de vous coûter cher », ou « Désolé, nous n’avons pas les pièces de rechange », « Cela risque de prendre du temps » … C’est aussi un sujet ayant de multiples intérêts ; la réparation crée de l’emploi non délocalisable, elle réduit la ponction sur les matières premières et notamment les matériaux critiques, elle évite la mise en décharge prématurée de nombreux produits souvent polluants. S’agissant de l’Europe, la Commission Européenne a ainsi évalué à 7,5 millions de tonnes de déchets ce qui était rejeté abusivement, c’est-à-dire des produits qui auraient pu être réparés.

La France a tout intérêt à amplifier son action en ce domaine. Dans l’ensemble européen, elle est déjà en avance avec la mise en place d’un indice de réparation depuis le 1er janvier 2021 et l’octroi d’un chèque réparation depuis fin 2022. Elle doit mettre en place un indice de durabilité en 2024. Il est toutefois possible d’aller encore plus loin avec quelques mesures simples et non onéreuses.

D’abord, en affirmant clairement qu’un produit conçu pour ne pas être réparable n’a sa place ni sur le sol français, ni sur le sol européen. Cette interdiction doit concerner également certaines pratiques comme la sérialisation qui consiste pour un producteur à empêcher toute réparation qui ne serait pas effectuée par un distributeur de son enseigne. Apple est actuellement poursuivi en France pour entretenir ces pratiques.

Ensuite, lorsqu’un produit tombe en panne durant la période de garantie, il serait logique que la réparation réinitialise cette période, par exemple en la prolongeant de trois mois. Ce serait un signe d’incitation fort.

Bien d’autres outils existent, notamment pour faciliter la relation avec les réparateurs ou encourager le reconditionnement, ils ont été répertoriés dans un avis récent du Comité Economique et Social Européen que j’ai eu l’honneur de piloter.

Parmi ces outils, on retrouve la prééminence de la réparation sur le remplacement du produit en cas de panne, une obligation pour le producteur d’informer sur la réparabilité du produit, un formulaire d’information que chaque consommateur sera en droit d’exiger sur les conditions de prix et de réparation, et une plate-forme de mise en relation pour assister le consommateur dans sa recherche de réparation.

Ces textes font partie d’un arsenal récent visant à faire de la consommation un réel levier de transition écologique. La proposition de directive « faire du consommateur un levier de la transition écologique » visant à mieux informer sur la durabilité, la réparabilité et à lutter contre la prolifération des labels environnementaux auto-proclamés a été adoptée le 3 mai 2023 par le Conseil de l’Union européenne. D’autres propositions comme celle de règlement sur les produits durables (Ecodesign Regulation for Sustainable Products), adoptée par la Commission Environnement du Parlement Européen le 15 juin 2023, ou celle en date du 22 mars 2023 relative à la lutte contre les allégations environnementales trompeuses, vont dans ce sens.

Cet avis sur le droit à la réparabilité du 14 juin 2023 a été voté à la quasi-unanimité des membres de ce Comité (Entreprises, Organisations syndicales, Associations de consommateurs et de protection de l’environnement), ce qui démontre parfaitement la totale acceptabilité économique et sociale d’un sujet aussi important que celui-là. A l’heure où il est beaucoup reproché aux politiques d’être éloignés des attentes les plus concrètes, ce serait pour nos dirigeants un signe que la politique peut aussi concerner l’ensemble des citoyens dans leurs préoccupations les plus quotidiennes. L’ouverture prochaine de la campagne pour les élections européennes de juin 2024 en sera un indice.

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