Énergies renouvelables et agriculture : « les champs des possibles »

Damien MATHON

Peut-on coupler souverainetés alimentaire, énergétique et industrielle tout en arpentant le chemin de la neutralité carbone ?

Dans un pays qui aime tant cliver, nous pourrions en douter. On oppose, en effet, à l’envi, agriculture et développement durable, production d’énergie et production agricole, énergie propre et artificialisation nette, etc.

Pourtant la France bénéficie d’une situation particulièrement privilégiée pour concilier les trois enjeux majeurs suivants :

  • Préserver la souveraineté alimentaire nationale acquise petit à petit après la seconde guerre mondiale, qui profite aussi aux pays tiers par le biais des excédents ;
  • Reconquérir une souveraineté énergétique (électrique notamment) qui s’est un peu érodée avec le temps, en raison d’un outil de production bas carbone vieillissant ;
  • Relancer une industrie forte après 30 années de recul, de déni voire de résignation

Et cette ambition de conciliation sera particulièrement opportune pour tenir nos engagements en matière de décarbonation !

Avec 400 000 exploitation agricoles installées sur plus de 27 millions d’hectares, la France demeure une puissance agricole mondiale. Premier producteur européen en 2021 de blé, de maïs, de betteraves et d’oléagineux, la France est une championne des grandes cultures[1]. L’export de céréales, en 2022, a permis de faire rentrer plus de 10 milliards d’euros de devises, record historique. Pour autant, la concurrence demeure féroce (compétitivité coût) et les menaces sont réelles (climat, acceptabilité, charges, vieillissement de la population active agricole, etc.).

Parallèlement, la situation énergétique du pays s’est fragilisée. Les conséquences de la guerre en Ukraine ont montré les faiblesses d’un système loin d’être sevré des énergies fossiles. Le vieillissement du parc électronucléaire rappelle que les sous-investissements, structurels depuis 30 ans, ont des conséquences très opérationnelles (déficit d’offre) que la sobriété seule peine à corriger. Par ailleurs, l’électrification des usages nécessite de redoubler d’effort pour produire de l’électricité, en quantité et bas-carbone.

Enfin, la part de l’industrie dans le PIB national s’est affaissée. En 2021, 16,8% du PIB national provient de l’activité industrielle contre 23% en moyenne en Europe et 26,6% en Allemagne. La politique de l’offre du Gouvernement français (baisse de la fiscalité de production notamment) apporte une réponse concrète à la problématique. Les implantations industrielles renaissent petit à petit et quelques projets solides, au contenu symbolique puissant, valident la stratégie posée depuis six ans. On pense ici au projet d’usine de batteries de Dunkerque, au projet d’usine de panneaux solaires de Sarreguemines, …

Le monde agricole français peut donc, dans ce contexte, devenir le puissant levier d’une production électrique renouvelable sourcée par une industrie verte relocalisée, bien aidée par un contexte fiscal plus « business friendly » qu’il ne l’a jamais été et par une visibilité nouvelle offerte par la programmation pluriannuelle de l’énergie (on espère que le prochain exercice confirmera les ambitions).

Néanmoins, quatre règles indispensables, pour ce faire, restent urgentes à suivre :

  • Privilégions les solutions de cohabitations entre production d’énergie et production agricole sans pour autant entrer dans des définitions technocratiques sclérosantes ! fixons des principes, pas la technologie (surtout s’il s’agit de la loi). Et arrêtons de nous faire peur ! En pure théorie, 1% des surfaces agricoles représente 200 GW de solaire installés et rappelons que l’éolien n’empêche en rien l’exploitation des terres agricoles.
  • Revisitons les critères de sélections des projets pour ne pas faire peser au seul prix proposé un poids démesuré qui, bien souvent, élimine les matériels européens. Faut-il vraiment chercher systématiquement des prix inférieurs à 50 ou 60 euros / MWh quand nous vivons désormais des épisodes de prix de marché dépassant les 300 ou 400 euros / MWh ? Peut-on réinterroger la pertinence juridique d’un critère environnemental robuste qui prendrait en compte l’analyse de cycle de vie des matériels ?
  • Accélérons les instructions ! Ces dernières sont longues car les codes sont lourds. De deux choses l’une, simplifions les codes ou étoffons les services instructeurs. Souvenons-nous de la célérité avec laquelle les dossiers de France Relance ont été instruits. Preuve s’il en fallait que l’Administration sait aussi faire vite et bien quand la menace fait face.
  • Poursuivons la politique intelligente de l’offre, initiée depuis 2017, qui cible les investissements productifs utiles et créateurs d’emplois.

Producteurs d’énergie pour la collectivité, les agriculteurs seront aussi des consommateurs avisés. A cet égard, on peut imaginer l’électrification du matériel agricole qui permettra de réduire, sans commune mesure, les charges de carburant et les émissions du secteur. Les grands volumes d’électricité pourraient aussi concourir à produire de l’hydrogène utile à la fabrication d’engrais bas carbone, source importante d’émissions de gaz à effet de serre.

Le cœur de nos campagnes peut devenir le réacteur de la transition énergétique multisource (solaire, éolien, biomasse, biogaz) avec ou sans vecteur de stockage (hydrogène).  N’attendons plus !


[1] Plaquette_chiffres_de_l_agriculture_VDEF.pdf (chambres-agriculture.fr)

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